SUR LA VIA CLAUDIA AUGUSTA
C’est reparti pour une journée sous les nuages. Je file en vélo sur les traces de la Via Claudia Augusta, la famille me rejoindra à Imst. Cette ancienne voie romaine, reliant l’Adriatique au Danube par les Alpes, est désormais un itinéraire cyclo-touristique très couru. Je profite d’être dans sa proximité pour escalader le Fernpass, un des grands cols de l'itinéraire, d’où la route plonge vers la haute vallée de l’Inn. Mon obstination à sortir le vélo même sous le crachin commence à payer. Le temps d’atteindre le pied du col, le ciel se dégage. Des nappes de brume tapissent les forêts, elles recrachent l'humidité en grosses volutes de nuage ; les sommets se parent de lumière ; le Zugspitze domine fièrement sa vallée ; dans le creux du large plateau de Ehrwald, les prairies scintillent, les clochers à bulbe s’érigent dans le ciel ; les granges en bois qui parsèment le paysage sont le détail singulier, l’image d’Epinal, du Tyrol ; parfois, un petit train rouge siffle sa venue et traverse le décor hérissé de sommets majestueux, les vaches assistent au spectacle.
Le tableau, figé sous le mauvais temps, s'anime à nouveau ; les parapentes décollent, les gens se baladent à vélo, les randonneurs s’appuient sur leur bâton, les cyclistes pédalent la tête en l'air. Je rentre dans une petite église baroque. Christ aux stigmates impressionnantes, moulures dorées, fresques aux couleurs éclatantes, trompes l’œil, autel surchargé, on trouve toute la panoplie du baroque autrichien dans cette petite nef de montagne.
La Via Claudia Augusta, sur des calmes chemins forestiers, longe la route bien encombrée. Le passage au-dessus du Fernpass est le point d'orgue des cyclos. Ils posent leurs vélos surchargés pour la photo rituelle. A partir d’ici, le chemin, bientôt en single, dégringole littéralement vers deux petits lacs aux eaux vert émeraude. Pas facile dans l'autre sens.
A Nassereith, de magnifiques maisons peintes s’alignent le long de la rue principale. La vallée se fait plus large, des granges parfaitement préservées dessinent une peinture naturaliste du XIXe siècle. J’arrive à Imst après une belle promenade de 50 km.
EN LUGE SUR DES RAILS
Dommage que les belles gorges de Rosengartenschlucht, avec leurs passerelles en bois et son sentier aérien, soient fermées, victimes des fortes intempéries de l’année. Je retrouve Sophie et les enfants au pied de la montée à Hoch-Imst, la petite station de ski locale qui accueille l’Alpine Coaster, le but de notre excursion. C’est une luge sur rail, la plus longue des Alpes : 3.5 km et 500 m de dénivelé. Nous pique-niquons au soleil. Nous y perdons mon couteau suisse. Juste le temps de mettre le pique-nique dans le coffre de la voiture, les nuages s’accrochent aux sommets des Alpes du Lechtal. Les rares gouttes ne nous empêchent pas de défier les nombreux virages surélevés. Ivann monte avec moi, Louna et Sophie pilotent leur luge. La descente procure de belles sensations de vitesse quand on lâche un peu les freins ; résultat, je perds mes lunettes de soleil, envolées. Les enfants adorent. Pour nous remettre de nos émotions nous marchons vers une grotte creusée au-dessus d’une gorge profonde. Mais l’orage, cette fois, nous oblige à nous rendre. Nous rebroussons chemin, direction la Bavière et ses châteaux.
CHEF D'ŒUVRE DU ROCOCO
Nous traversons sans nous y arrêter Garmisch, ou bien Partenkirchen. Les deux entités s'étant réunies sous la même bannière lors des Jeux Olympiques de 1936.
Sur l'un des innombrables vallonnements de la Bavière, une petite église, la Weiskirche. Un chef d’œuvre du rococo allemand. Quand on pénètre dans la nef, on est frappé par une explosion de lumière. Les murs d’une blancheur éclatante, tout en contraste avec les couleurs sombres des forêts environnantes, souvent couvertes par un ciel d’encre, sont coiffés par un foisonnement d’ornementation aux couleurs de miel. On peut, au premier abord, être surpris par ce délire d’artiste, mais à y regarder de plus près, l’ensemble est un subtil équilibre, un véritable miracle eu égard à cette abondance de décoration : stucs, colonnades marbrées, dorures, orgue enluminé, statues drapées, fresques aux couleurs vives dont la formidable coupole et sa porte symbolique vers l’au-delà.
SUPERBE BAVIÈRE
La Bavière est vraiment belle. Et ce n’est pas forcément le mauvais temps qui vient gâcher son charme, au contraire. Les jeux de lumières font de la Bavière une image en perpétuel changement : les prairies dont les verts deviennent parfois fluorescents ; les masses sombres de nuages qui donnent une impression d'apocalypse ; les forêts dont les arbres centenaires ne laissent passer que quelques raies de lumières ; les sommets calcaires qui jouent à se dissimuler pour mieux réapparaître ; les routes luisantes qui se faufilent dans les plis du piémont, telles des montagnes russes. Et au milieu de ces paysages, les fermes traditionnelles décorées par des énormes massifs de fleurs. Dans les villages aux maisons peintes, entre un clocher à bulbe et un campanile acéré comme une aiguille, s’élèvent les fameux Maibaum, comme des totems, ces hauts mats qui font l’honneur et la fierté de chaque localité.
L'INSTANT MAGIQUE
Le château de Neuschwanstein, dessiné par les rêveries psychédéliques de Louis II, est le château de la « Belle au Bois Dormant », ou ceux des contes des frères Grimm. Il est devenu une attraction à la Walt Disney, tant les bus de touristes se pressent à ses pieds, passage obligé d’un voyage en Bavière. Il attire notamment un nombre impressionnant de touristes asiatiques, alléchés par cette représentation imaginaire de l’Europe médiévale - bien qu’il soit du XIXe siècle. Un rideau de pluie s’abat en cette fin d’après-midi sur la Bavière, l’orage est violent, le vent fouette les vitres de la voiture.
Sur son promontoire, le château avec ses murs blancs, semble surgir de la nuit comme un fantôme. La magie opère. Nous tournons un peu autour, lorgnant au passage sur son voisin Hohenscwangau qui domine un lac immergé dans sa forêt de sapins. La pluie cesse, le soleil pointe à nouveau son nez. Sophie évoque la possibilité d’un arc-en-ciel, quand celui-ci, surgit, balançant ses couleurs juste au-dessus, exactement, de Neuschwanstein. Un moment de grâce. Un cadeau de la Bavière.
UNE SOIRÉE A FÜSSEN
Füssen est une petite cité médiévale pleine de charme, bien conservée dans son jus. Le quartier historique, ceint dans ses murs, avec ses ruelles piétonnes qui serpentent entre des bâtiments à pignons, est dominé par un haut château. Nous mangeons quelques spécialités locales dans un restaurant tenu par des croates. Attention, on mange tôt. A 20 h, il semble déjà que ce soit le dernier service. Les maisons aux couleurs pastel et les magnifiques enseignes en fer forgé des magasins rendent la balade digestive agréable. Des magasins exposent en vitrine les luxueux habits traditionnels bavarois. Il est assez tard quand nous rentrons au camping. Je jette un coup d’œil à la météo, qui annonce une légère amélioration pour demain.